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À M. RACINE

Poésie et Poème

Nicolas BOILEAU



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A M. RACINE


TEXTE INTÉGRAL



Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur,

Emouvoir, étonner, ravir un spectateur !

Jamais Iphigénie en Aulide immolée

N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,

Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé

En a fait sous son nom verser la Champmeslé.

Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,

Entraînant tous les coeurs, gagner tous les suffrages.

Sitôt que d'Apollon un génie inspiré

Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,

En cent lieux contre lui les cabales s'amassent ;

Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent ;

Et son trop de lumière, importunant les yeux,

De ses propres amis lui fait des envieux ;

La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,

Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie ;

Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits,

Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,

Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,

ille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés,

Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.

L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces,

En habits de marquis, en robes de comtesses,

Venaient pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau,

Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau.

Le commandeur voulait la scène plus exacte ;

Le vicomte, indigné, sortait au second acte. L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,

Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu ;

L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,

Voulait venger la cour immolée au parterre.

ais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains,

La Parque l'eut rayé du nombre des humains,

On reconnut le prix de sa Muse éclipsée.

L'aimable Comédie, avec lui terrassée,

En vain d'un coup si rude espéra revenir,

Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.

Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.

Toi donc qui, t'élevant sur la scène tragique,

Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits,

De Corneille vieilli sais consoler Paris,

Cesse de t'étonner, si l'envie animée,

Attachant à ton nom sa rouille envenimée,

La calomnie en main quelquefois te poursuit.

En cela, comme en tout, le Ciel qui nous conduit,

Racine, fait briller sa profonde sagesse.

Le mérite en repos s'endort dans la paresse ;

ais par les envieux un génie excité

Au comble de son art est mille fois monté ;

Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance.

Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance,

Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus

Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus...

Epître VII

(Recueil : Epîtres)

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